Une ethnologue résistante
Germaine TILLION voit le jour en 1907. Elle grandit dans un milieu bourgeois, intellectuel et catholique. Elle fait des études d’ethnologie et, entre 1927 et 1934, elle range les collections ethnographiques dans l’ancien Musée d’Ethnographie du Trocadéro, ancêtre du musée de l’Homme, et noue notamment une amitié avec Yvonne ODDON, bibliothécaire du musée. Elle se spécialise sur le monde berbère et participe à des missions en Algérie de 1934 à 1940. Lors de ses rares retours en France, elle ne manque pas de rendre visite à ses amis du musée.
C’est en mai 1940 qu’elle quitte l’Algérie au terme de sa dernière mission. Elle ignore alors à peu près tout de la situation en métropole, les douars étudiés dans l’Aurès étant à plus de 14 heures de cheval du premier poste administratif français, les informations y étaient rares. Elle rejoint Paris, en pleine débâcle, le 9 juin 1940. Elle est profondément bouleversée par l’effondrement du pays et la demande d’armistice du 17 juin puisqu’elle affirme, dans La Traversée du mal : «Ce fut pour moi un choc si violent que j’ai dû sortir de la pièce pour vomir…». Elle refuse donc immédiatement l’armistice et cherche tout de suite à « faire quelque chose », refusant l’idéologie nazie dont elle avait pu constater avec effroi la popularité croissante lors de plusieurs séjours en Allemagne dans les années 1930. Ainsi, elle écrit dans le Verfügber aux enfers (pièce de théâtre qu’elle rédigera avec des camarades de camp alors qu’elles étaient détenues à Ravensbrück) : « On m'a dit « il faut résister »... / J’ai dit oui presque sans y penser ». C’est dans cet objectif qu’elle se rapproche du Colonel Paul HAUET, qui dirigeait une association d’aide aux soldats coloniaux, l’UNCC (Union Nationale des Combattants Coloniaux). Comme elle le racontera à Edouard PERROY, leur but est similaire (résister) et chacun est particulièrement à sa place dans l’organisation mise en œuvre, G. Tillion profitant de sa bonne connaissance des « Indigènes », c’est-à-dire des habitants non-européens des colonies, pour nouer des liens avec eux (elle parle de « résistance sociale »). Mais rapidement, l’UNCC sert principalement de décor pour abriter une filière d’évasion destinée aux prisonniers de guerre. L’activité de Germaine Tillion s’élargit, avec celle de l’UNCC, à la collecte d’informations sur l’armée allemande, sur les mouvements des troupes et sur les camps de prisonniers. Toutefois, l’ethnologue se spécialise dans le recrutement. Ainsi, véritable « tête-chercheuse » de la Résistance, pionnière en zone occupée, bien introduite dans des milieux variés, elle tisse des liens avec de multiples noyaux de résistance dans toute la France.
Germaine TILLION prend le nom de code de « kouri » et établit un fichier des prisonniers d’outre-mer qui transitent souvent par sa maison de Saint-Maur (rue du Grand-Chêne) lors de leur évasion. Ils en repartent avec des tracts rédigés par elle pour dénoncer la trahison du maréchal PETAIN.
Son rôle dans le réseau du Musée de l’Homme
De par son amitié avec des employés du Musée de l’Homme, dont Y. ODDON, elle prend rapidement connaissance de leurs actions et se rapproche du groupe du musée (elle enseigne même l’anglais à B. VILDE). Ainsi, c’est elle qui met en contact Paul HAUET avec le groupe de résistants de Boris VILDE fin 1940. Or, l’UNCC entre en contact avec des groupes fédérés par Maurice de La ROCHERE, colonel lui aussi et vieux camarade de Paul HAUET. Dès lors s’ébauche une coopération entre les groupes, surtout dans le domaine du renseignement militaire, qui amène à la formation ce qu’on appela, après coup, le « Réseau du Musée de l’Homme ». Pendant cette période, elle continue de se rapprocher d’autres mouvements tel que le Détachement Valmy, constitué par des membres de l’ancien Parti Communiste ; Ceux De La Résistance, issu de Combat, dirigé par Henri FRESNAY ou encore Gloria SMH, réseau anglais d’information militaire. Pour Julien BLANC, « elle joue un rôle essentiel d’ « interface » et d’ « échangeur », mettant en relation les uns avec les autres et cherchant toujours à venir en aide à ceux qui sont en danger ».
Mais cette construction est rapidement mise à mal par la répression. Paradoxalement, c’est après l’arrestation des principaux résistants du réseau du Musée de l’Homme au début de l’année 1941 que les liens établis par Germaine TILLION révélèrent toute leur importance. En effet, après l’arrestation, c’est une organisation dérivée de l’UNCC qui reprend les activités du réseau, bien que, chaque secteur fonctionnant de manière relativement indépendante et le secret étant essentiel à la sécurité de tous, tout le réseau du Musée de l’Homme n’est pas reconstitué par la nouvelle organisation. Le 5 juillet 1941, Paul HAUET est arrêté. Germaine TILLION prend alors le relais, animée par la volonté de résister, terme auquel elle donna sa propre définition dans un entretient conduit à l’automne 2002 par Alison RICE et publié intégralement en anglais dans Research in African Literatures : « « Pour moi, la résistance consiste à dire non. Mais dire non, c’est une affirmation. C’est très positif, c’est dire non à l’assassinat, au crime. Il n’y a rien de plus créateur que de dire non à l’assassinat, à la cruauté, à la peine de mort. ». On voit bien là les similitudes des raisons de l’engagement de Germaine Tillion, leur caractère profondément humain mais aussi une forme de lucidité sur le nazisme et les exactions de l’occupant.
Dès 1945, Germaine TILLION prit en charge les démarches administratives relatives au réseau du Musée de l’Homme avec pour objectif l’attribution de décorations et de pensions militaires au titre de combattant volontaire de la Résistance. Elle enregistra le réseau au nom de « Réseau du Musée de l’Homme – Hauet – Vildé », en 1946, en hommage aux martyrs du Musée de l’Homme.
Parenthèse importante : la déportation de Germaine Tillion
Elle fut dénoncée, arrêtée le 13 août 1942, jugée notamment pour « assistance sociale » (Lettre de Germaine Tillion à la Gestapo du 3 janvier 1943) et déportée NN (Nuit et Brouillard) à Ravensbrück où elle rédigea le Verfugbar aux enfers. Forte de sa formation d’ethnologue et de ses expériences en Afrique du Nord et d’une avidité intellectuelle remarquable, elle analysa la structure sociale du camp et le sort des femmes du camp. Pour elle, la résistance perdura à Ravensbrück. Elle devint celle de l’esprit, une lutte pour ne pas succomber à la folie ou au désespoir.
Sources
Article « Germaine Tillion » dans Dictionnaire de la Résistance, R. Laffont
Le siècle de Germaine Tillion, de Tzvetan Todorov (2008)
Témoignage de Germaine Tillion, recueilli par Édouard Perroy (extrait ci-dessous) :https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?irId=FRAN_IR_053870&udId=cu00dipvxni--1xxqrpvvr1gvc&details=true&gotoArchivesNums=false&auSeinIR=true
Des Savants dans la Résistance, Boris Vildé et le réseau du musée de l'Homme, de Anne Hogenhuis : https://books.openedition.org/editionscnrs/9122)
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